Phénomène des influenceurs au Cameroun

Une invention de la génération internet

C’est le nouvel opium de la société camerounaise, une trouvaille de la génération internet. La tentation de se savoir suivi par des dizaines de milliers de followers n’épargne aucune catégorie sociale. Cette nouvelle profession a comme champ des opérations l’espace internet qui semble emporter plus d’audience que les médias classiques. Voyage au cœur de cette nouvelle profession licencieuse et hallucinogène.

Par Eyangoh Ekolle

A la faveur de la vulgarisation de l’internet à travers une navigation de plus en plus accrue des internautes, la société camerounaise s’est vue imposer une nouvelle catégorie de citoyens dits influenceuses ou influenceurs depuis une dizaine d’années maintenant. A partir d’un appareil de téléphone  androïde, voire intelligent ou d’un ordinateur portable doté de web caméra, les influenceurs ont là le matériel idoine pour se poser et s’imposer sur la toile comme des personnes d’influence. Coups de gueule, diffusion des vidéos obscènes, propos de moralisation ou encore exhibition de son standing de vie, tous les moyens sont bons ici pour se faire remarquer.

Du profil des influenceurs

Ces hommes et femmes, jeunes et adultes qui se sont imposés aux internautes par leur attitude atypique, proviennent de toutes les catégories de la société. Parmi les catégories sociales les plus représentées, il y a d’abord les journalistes. Ce sont pour la plupart d’entre eux, des reconvertis des médias classiques qui ont transposé leurs activités sur internet. Même si malheureusement, une fois sur la toile, les informations qu’ils diffusent ne respectent plus l’orthodoxie journalistique. Quand on ne verse pas dans le journalisme des listes ou d’acharnement, on s’adonne au journalisme des révélations, des scandales creux, ou encore des infidélités dans les ménages. Ce pseudo journalisme semble néanmoins nourrir son homme puisque ces journalistes devenus influenceurs, se sont autoproclamés grands investigateurs et détenteurs des dossiers secrets de la république, exposent à cœur joie leur nouveau train de vie. D’autres prétendus journalistes sont venus de nulle part au moyen des médias du net qu’ils ont créés. Ils proposent aux internautes des faits divers qu’ils tiennent pour des réalisations journalistiques. Malheureusement, les abonnés éprouvent un grand intérêt pour ces histoires de mœurs légères. Et nos journalistes improvisés reçoivent une côte de popularité qui leur donne l’impression d’être devenus plus professionnels que les journalistes classiques.

Il y a ensuite des artistes musiciens qui s’étant rendus compte de n’être plus en mesure de servir au public des compositions digestes, ont élu domicile sur la toile question de s’assurer de rester toujours présents dans les esprits. Ils se font remarquer pour leurs coups de gueule, leur goût pour les histoires de chiens écrasés, des insultes et des injures qui n’apportent rien d’édifiant que de conduire les followers dans les caniveaux. Paradoxalement, ce sont mêmes ces comportements déviants qui les rendent encore plus célèbres et font augmenter le nombre de leurs abonnés. Il y a enfin les tout-venants qui proviennent de toutes les autres catégories sociales. Chacun se bat à se frayer du chemin sur l’autoroute de la communication pour se poser comme une voix à suivre. Pour une fois, les femmes se sont suffisamment démarquées comme influenceuses. Certaines servent des recettes pour juguler la faiblesse sexuelle, d’autres présentent des produits cosmétiques efficaces pour changer de teint, d’autres exposent plutôt des voies et des moyens qui leur ont permis de partir de filles de bas quartier à des personnes d’influence qu’elles sont devenues. Les éléments d’influence ici étant les signes extérieurs de richesses : voitures, autres vêtements de luxe etc. Le métier d’influenceur est tellement hystérique qu’il a même réussi à embarquer un membre du gouvernement et certaines personnalités influentes de la république qui en dehors de leur position sociale connue, recherchent également de l’audience sur la toile.

Tacite légitimation

Le gouvernement est accusé d’avoir légitimé la profession d’influenceurs en recrutant des compatriotes dites influenceuses lors de la dernière édition de la Coupe d’Afrique des Nations qui s’est déroulée au Cameroun en janvier – févier 2022. L’étude serrée du profil de ces prétendues influenceuses, avait plutôt permis de découvrir que ces dernières étaient plus de donneuses de plaisir que de véritables influenceuses. Depuis lors, le métier d’influenceur a été boosté et adulé. Des nouveaux venus y affluent au jour le jour. Des laboratoires de pensée, des think-tank sont organisés dans les quartiers pour préparer des hommes et des femmes à s’ériger influenceuses ou influenceurs.  Cela ne dure que quelques années qu’un soudeur s’exclamait de la coupure intempestive d’électricité. Sa diction et le caractère hilarant de ses lamentations avaient rendu cette vidéo virale.

Manipulation

Quelle n’a pas été la surprise des internautes de constater qu’un opportuniste s’était placé derrière ce sexagénaire pour le reconvertir en artiste musicien avec à la clé un album qui est au mieux une ordure et au pire une injure à la musique camerounaise. Ce même influenceur, devenu par circonstance, producteur a auparavant vendu au public un autre artiste qui dans ses chansons démontre à suffire qu’il est entré dans cette profession par effraction c’est-à-dire de façon aventurière. Sauf que la promotion qui a été faite par les influenceurs à cet artiste, lui a permis de séjourner à Dubaï et même dans d’autres pays. Conséquence, cet artiste contestable est convaincu aujourd’hui de représenter quelque chose dans le pays de Manu Dibango et d’André Marie Talla. C’est surtout cela, le côté pernicieux de la profession d’influenceurs. Cette  aptitude qu’ils ont à tenir en haleine des dizaines de milliers d’abonnés en leur vendant le rêve et les contre-modèles.

L’actualité livre d’ailleurs une parfaite illustration à ce sujet. Depuis quelques mois maintenant, une jeune fille de vingt-deux ans selon ses propres déclarations,  s’est accaparée la toile avec en back-office une équipe de managers et de coaches qui la préparent et l’accompagnent dans toutes ses sorties. Cette demoiselle auto-surnommée «la croqueuse de diamant», a la particularité de posséder une fortune intarissable qu’elle distribue à la demande. Sa voiture rutilante et ses vêtements bling-bling, expriment un niveau de vie accompli et un avenir garanti pour ne pas dire assuré. Sauf que ni la fille, ni son entourage ne réussit à expliquer aux curieux les origines de cette fortune épaisse. Les explications fournies par elle-même ont du mal à convaincre même les pygmées qu’on sait détachés de la vie dite civilisée.

Déviance 

Ces vidéos largement diffusées dans lesquelles la jeune dame exhibe des liasses de billets de banque n’émeuvent personne, les autorités en premier. D’ailleurs, il ne se passe plus un jour sans que cette multimillionnaire ne fasse des dons évalués en millions à chaque occasion. Conséquence, des jeunes, friands de l’argent facile ne manquent pas de se renseigner à leur réveil sur l’itinéraire du jour de la multimillionnaire. Question de se placer sur son trajet et de recevoir quelques billets de banque lors de son passage.  En effet, on peut penser qu’on blâme la philanthropie. Il est plutôt question de connaître la provenance d’une telle fortune pour une fille de vingt-deux ans. Sauf à être des marginaux sociaux, on peut se demander si le plus important est seulement d’avoir de l’argent et de le distribuer et que s’interroge sur la source d’une telle fortune importe peu. Enfin, il y a lieu de formuler l’hypothèse que par envie de faire le buzz, de marquer des esprits et sa présence sur l’autoroute de l’information, certains compatriotes, jeunes et adultes, hommes et femmes, sont prêts à embrasser même le diable pourvu que leurs noms soient inscrits sur le panthéon des personnes d’influence et d’honneur. C’est cela notre société, allons seulement. 

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