Jean-Michel Nintcheu

Interview réalisée par, Njiki Fandono

«Une candidature de Franck Biya serait une pure provocation»*

En décembre 2022, les membres du G27, un groupe de cadres acquis au député de Wouri-Est à Douala se réunissent au sein d’un comité exécutif régional non reconnu par la hiérarchie du parti et demandent la démission de l’inamovible John Fru Ndi, le leader historique du Social Democratic Front-Sdf.

Nostalgiques et jaloux des heures de gloire de la formation qui, de justesse, avait manqué d’accéder au pouvoir à l’issue de l’élection présidentielle de 1992 selon les résultats officiels, Jean-Michel Nintcheu et ses camarades venaient d’enfoncer le clou de la crise au sein du Sdf. Un parti, plus que jamais au creux de la vague, affaibli qu’il est par des échecs électoraux, laminé par des démissions et en perte de vitesse significative sur l’échiquier politique national.
Saura-t-il relever la tête de l’eau à deux ans et quelques mois de l’élection présidentielle prévue en 2025 ou alors va-t-il définitivement couler dans les eaux tumultueuses de ses rapports controversés avec le parti au pouvoir ? Jean-Michel Nintcheu est notre invité.

Vous avez été exclu du Sdf le 25 février 2023, ainsi qu’une trentaine de vos camarades et tous les cadres du groupe G27 dont le ton semblait ne plus être en phase avec les nouvelles orientations politiques du parti. Etes-vous toujours militants du Sdf ?

L’exécutif corrompu et illégitime présidé par Fru Ndi a cru devoir exclure 34 cadres historiques du parti. Il faut d’ailleurs relever que cette décision illégitime est nulle et de nul effet dans la mesure où Fru Ndi et sa bande n’ont même pas pris la précaution de nous la notifier conformément à nos statuts. Par conséquent nous restons militants du Sdf originel incarné par le G27. Nous avons d’ailleurs diligenté plusieurs procédures devant les tribunaux et nous sommes sûrs que toutes ces décisions anti statutaires seront annulées. Nous allons arracher notre parti des mains sales et corrompues de cette bande de collabos qui ont transformé le Sdf en satellite du parti au pouvoir.

Comment entrevoyez-vous votre avenir politique dans un tel climat ?

Il faut souligner avec force que le groupe G27 est dans une démarche collective et non individualiste…il faut également préciser que les structures et la base militante du parti nous sont restées fidèles à près 99%. Notre objectif, à court terme, est d’organiser un congrès de refondation et de retour à nos valeurs originelles pour lesquelles de nombreux jeunes Camerounais ont perdu leur vie. Bien entendu, nous comptons nous mutualiser avec d’autres forces du changement avec pour objectif majeur de débarrasser le peuple camerounais du régime du Renouveau.

De l’Assemblée nationale au Sénat, le Sdf ne cesse de perdre de la voix. Le parti a eu la vie sauve aux sénatoriales du 12 mars 2023 grâce à la générosité du président Paul Biya qui lui a offert un sénateur par nomination. Comment analysez-vous cette dégringolade alors que le Sdf avait sept sénateurs élus lors de la mandature précédente ?

Nous n’avons eu de cesse de dénoncer les dérives mafieuses de Fru Ndi et de son «fan club» qui ont pris notre parti en otage. Déçu par ce jeu trouble, le peuple du changement qui n’est pas dupe a tourné le dos au Sdf. La nomination de Mochiggle par Biya comme sénateur sur proposition de Fru Ndi n’est que la dernière goutte d’eau qui fait déborder le vase. Cette dernière forfaiture consacre le Sdf comme parti de la majorité présidentielle de Biya où il entre d’ailleurs honteusement par la plus petite des fenêtres.

Quels sont vos rapports aujourd’hui avec le chairman Ni John Fru Ndi, le leader historique du Sdf ?

Quel rapport voulez-vous que j’entretienne avec un flibustier qui a trahi les idéaux du Sdf et trompé le peuple ? Les 6 jeunes tombés lors du lancement du Sdf le 26 mai 1990 vont se retourner dans leur tombe ! Mon imprimerie a été incendiée en novembre 1992 par le Cener («police politique») accusée d’imprimer les tracts pour soutenir Fru Ndi, vainqueur de l’élection présidentielle d’octobre 1992. Ce monsieur n’est qu’un «commerçant» politique qui sera irrémédiablement jeté dans les poubelles de l’histoire.

Que pensez-vous du député Joshua Osih, le premier vice-président du Sdf ? A-t-il l’étoffe et les moyens pour relever le parti ?

Osih est un aventurier sans conviction. La descente aux enfers du Sdf s’est accélérée lorsqu’il a été investi comme candidat du Sdf à l’élection présidentielle de 2018. Avec un score incroyable de 3%, le Sdf a perdu sa place de parti leader de l’opposition. Il est le missi dominici de Fru Ndi auprès du régime. Accompagné du dernier fils de Fru Ndi, il transporte les mallettes d’argent entre le cabinet civil de la présidence de la République et le domicile de ce dernier…notre exclusion du parti a été motivée par la volonté de Fru Ndi de lui céder la présidence du parti lors du congrès fantoche qui est projeté à Yaoundé courant juillet 2023.

Que pensez-vous de Maurice Kamto, le président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (Mrc) ?

Le professeur Kamto est devenu leader de l’opposition véritable à la faveur de la dernière élection présidentielle. C’est un homme courageux et déterminé…

De nombreux bruits vous annoncent au Mrc, parti d’opposition aux positions très tranchées contre le régime de Paul Biya. Qu’en est-il réellement ?

Le groupe G27 et le Mrc poursuivent le même objectif. Nous allons mettre ensemble nos intelligences, nos moyens, toute notre énergie pour les atteindre. Il n’est pas nécessaire à ce stade d’aller tous au Mrc.

Que pensez-vous d’une éventuelle candidature de Franc Emmanuel Biya, le fils du président de la République, à la prochaine élection présidentielle ?

Une éventuelle candidature de Franck Biya serait une pure provocation, une hérésie. C’est une ligne rouge qui, j’espère ne sera pas franchie. Paul Biya lui-même a déclaré à plusieurs occasions que le Cameroun n’est pas une monarchie. Paul Biya doit toujours avoir à l’esprit que le président Ahidjo qui lui a donné gratuitement le pouvoir aurait pu aussi manœuvrer pour introniser son fils. Il ne l’a pas fait parce qu’il était un homme d’Etat patriote. En tout cas, nous restons extrêmement vigilants. Biya ne doit pas provoquer la guerre civile dans ce pays qui lui a pourtant tout donné.