Cameroun : Le fantôme de la conférence nationale souveraine

Déclarée «sans objet» en 1991 par Paul Biya, l’idée d’une refondation des institutions bruisse au sein d’une opinion silencieuse, mais surtout désespérée par les crises qui minent le pays et l’impuissance de l’opposition à déloger par les urnes le locataire d’Etoudi, dans un système électoral vicié et contesté.

 

Par Njiki Fandono

Au début des années 1990, le vent des libertés souffle sur l’Afrique francophone. Séduits par le coup d’envoi au Benin, de nombreux pays africains, anciennes colonies de la Belgique et la France, décident d’organiser les Conférences nationales souveraines, seules gage selon l’opposition et les sociétés civiles d’une République en adéquation avec les aspirations du peuple émancipé. Pour y parvenir, il faut mettre entre-parenthèses les constitutions inspirées du modèle colonial qui assuraient la continuité des systèmes monolithiques structurés en partis-Etats et une présidence à vie aux autocrates plus ou moins bienveillants avec la tutelle. Avec des fortunes diverses, les conférences nationales se tiennent au Togo, Niger, Mali, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, RDC, Congo Brazzaville, Tchad etc. Les dominos tombent sans coup férir pour certains et vacillent encore quelque temps avant de céder complètement pour d’autres. Sauf au Cameroun. Arrivé au pouvoir le 6 novembre 1982, Paul Biya qui se remettait à peine du coup d’Etat manqué du 6 avril 1984 ne tremble pas : «la conférence nationale souveraine est sans objet», martèle-t-il en juin 1991.

Le successeur constitutionnel d’Ahmadou Ahidjo postule pour «un large débat national», articulé autour d’une Tripartite à laquelle une partie de l’opposition prend finalement part après l’avoir boudée. Du 30 octobre au 17 novembre 1991, les assises entre le gouvernement, l’opposition et la société civile se tiennent sur les hauteurs du Palais des Congrès de Yaoundé. La montagne de Nkol-Nyada n’accouche pas d’une souris. Au contraire, d’importantes résolutions sont prises et serviront de socle à la constitution du 18 janvier 1996. Entre autres, le retour au multipartisme, un nouveau code électoral et la limitation du mandat présidentiel à cinq ans, renouvelable une fois. Au palais d’Etoudi, Paul Biya soupire sans exulter. Il sait que cette victoire obtenue d’arrache-pied sur la Tripartite en lieu et place d’une Conférence nationale souveraine n’est qu’un sursis pour son pouvoir. Lequel sera mis à rude épreuve lors des premières élections législatives de mars 1991 et la présidentielle d’octobre de la même année sous le multipartisme.

Remorqué de justesse

En effet, le Rdpc avait obtenu 88 députés sur les 180 sièges en jeu. Une majorité relative que le parti au pouvoir comblera en s’alliant au Mdr. Avec ses 6 députés, la formation de Dakolé Daïssala évite de justesse le basculement de l’Assemblée nationale dans l’opposition. Ce fut un tournant majeur, considéré pour certains observateurs de la scène politique camerounaise comme une erreur fatale de l’opposition. Grand absent de ces législatives, le Sdf du très redoutable opposant John Fru Ndi, porté par une coalition des forces du changement, fait trembler le régime à son tour, à l’issue d’une présidentielle controversée. Paul Biya est déclaré vainqueur par la Cour suprême avec 39,9% des voix, contre 35,9% pour son adversaire, mais le «candidat naturel» du Rdpc en sortira sans doute bourré de leçons politiquement impitoyables. Car si le locataire d’Etoudi a concédé la mise en place progressive des institutions prévues par la Constitution du 18 janvier 1996 telles que le Sénat et les Conseils régionaux largement dominés par le Rdpc pour «parachever» le processus d’une décentralisation grippée, il aura su lever en 2008 le verrou sur la limitation du mandat présidentiel.

En faisant sauter le cadenas constitutionnel contre la longévité au pouvoir, le chef de l’Etat qui a célébré le 6 novembre 2023 le 41e anniversaire de son accession au pouvoir autour d’un gâteau offert avec une tendresse ostentatoire par son épouse Chantal Biya, balayait ainsi un précieux vestige de la Tripartite. Cette mesure jadis très contestée dans les rues mais réprimée dans le sang, avait rendu encore plus complexe l’alternance dans un pays où le code électoral divise, et dont l’opposition peine à obtenir la révision. Pourtant Elecam (Elections Cameroon) avait reconnu en 2021 dans une note interne, la nécessité de réviser la loi électorale, «partant d’expériences puisées de l’organisation et la gestion des récentes échéances électorales». En dehors de l’organisme en charge des élections au Cameroun, l’opposition et la société civile, des voix – et pas des moindres – se sont levées au sein du pouvoir pour demander la révision du code électoral, afin de parvenir à des élections plus justes, crédibles et inclusives, mais aussi à la décrispation du climat politique.

Rêve souverain

«Je continue à penser et le répète, que le problème qui se pose au Cameroun est aussi celui de l’alternance et le seul remède qui pourrait guérir le mal est : la révision de la constitution ; la limitation du mandat présidentiel à deux fois cinq ans non renouvelables ; l’élection à deux tours ; la révision du code électoral ; la décentralisation dont il faut assurer la mise en place dans les six mois qui suivent le dialogue», avait déclaré en 2019 Ibrahim Mbombo Njoya, sénateur Rdpc décédé le 27 septembre 2021. Ces propos du sultan roi des Bamoun prononcés sous forme de réquisitoire à l’occasion du Grand dialogue national convoqué par Paul Biya pour trouver des solutions ultimes à la crise anglophone qui décime depuis sept ans les régions anglophones, n’avaient pas été très appréciés à Yaoundé. Pour l’opposition, c’était la preuve que le régime avait ramené le pays à une époque politique que l’on croyait révolue. Surtout que les attaques séparatistes ne cessent de faire des morts et côté institutionnel, ce n’est pas non plus le meilleur spectacle offert, si l’on scrute l’actualité sur les scandales à l’Assemblée nationale et les clivages de polichinelle entre certains hauts commis de l’Etat. De quoi exaspérer et réveiller une opinion atone qui regrette amèrement le caractère non souverain des grandes concertations nationales organisées par le chef de l’Etat camerounais, désespère des élections en l’état et rêvent d’une Conférence nationale souveraine en réalité improbable dans le contexte actuel.

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