DGRE-SEMIL : L’ETAT DANS L’ÉTAT ?

Redoutées pour leur influence, ces deux structures discrètes du renseignement camerounais ont suscité la controverse avec l’affaire Martinez Zogo et l’enlèvement éclair de l’avocat Fabien Kengne le 29 mai 2023 à Douala. Entre sécurité et terreur, la question sur les missions fondamentales de ces boîtes noires dont aucune trace ne figure sur internet se pose avec acuité. Evocation.

Par Njiki Fandono

A la différence de leurs homologues français, britanniques ou encore américains que sont la DGSE, la SIS – plus connue sous la dénomination de MI6 – la CIA et le FBI, les services secrets camerounais ne disposent pas de site internet au travers duquel tout citoyen peut facilement s’informer sur leurs missions. Ne serait-ce qu’officiellement, car ce sont en réalité de véritables boîtes noires au sens strict, dont seuls les échos parfois effroyables attirent l’attention sur leur existence en des termes peu flatteurs : filature, enlèvement, torture, voire «assassinat». En effet, il faut dire que la Dgre et la Semil, ces deux structures spécialisées dans le contre-espionnage et le renseignement militaire, n’ont pas toujours eu bonne presse, au regard des missions qu’elles peuvent être amenées à remplir pour le compte de l’Etat, mais ont particulièrement vu leur côte de popularité bondir sur l’échelle de la terreur depuis le début de l’année. En janvier 2023, c’est la Dgre qui donne le coup d’envoi à travers l’affaire Martinez Zogo. Plusieurs de ses éléments sont écroués à la prison centrale de Kondengui. Parmi eux, le directeur général Maxime Eko Eko, le lieutenant-colonel Justin Danwe, responsable des opérations à la Dgre, par ailleurs chef du commando. Ils sont poursuivis par le tribunal militaire de Yaoundé pour filature, enlèvement, torture et complicité de torture dans le cadre de l’assassinat du célèbre animateur d’Amplitude FM, dont le corps en état de décomposition avait été découvert le 22 janvier à la périphérie de Yaoundé, après son kidnapping intervenu cinq jours plus tôt devant le poste de gendarmerie de Nkol-Nkondi.

L’horreur et la sauvagerie qui se lisaient sur le corps de Martinez Zogo ont provoqué une onde de choc dans le monde de la presse et au-delà, mais ont également suscité la controverse sur les méthodes au sein du bâtiment situé à un jet de pierre du lac de Yaoundé, sous la direction de Maxime Eko Eko. Diplômé en intelligence économique, ce commissaire divisionnaire avait selon toutes indiscrétions le profil pour redonner à l’ancien Centre national d’études et de recherches (Cener) une image moins brutale et la réputation d’une institution moderne au service de l’Etat, à l’aune des nouvelles menaces hybrides. Loin de cette notoriété de «police politique» tristement acquise du temps d’Ahmadou Ahidjo pour ses activités de filature et persécution systématique des opposants au régime de l’ancien président de la République. En treize ans aux commandes de la Dgre, c’est un échec ou presque pour Maxime Eko Eko qui a toujours nié toute implication dans l’affaire Martinez Zogo, même si le super flic a réussi à doter l’institution d’un matériel électronique de pointe pour le contre-espionnage depuis sa nomination en 2010.

Indignations

Quant à la Semil, elle n’a pas eu un sinistre succès aussi retentissant à l’international que celui de la Dgre. Mais l’enlèvement éclair de l’avocat Fabien Kengne le 29 mai 2023 aux environs de 21h30 devant l’immeuble qui abrite les locaux de la télévision privée Equinoxe Tv à Douala, en a également fait une star de la terreur dans la cité. Au plan national, les réactions n’ont pas tardé pour dénoncer l’arbitraire des agents de la division de la Semil, placée sous le commandement du tout-puissant et très controversé colonel Emile Joël Bamkoui, célèbre pour avoir exécuté de plusieurs balles un officier de police en 2008 dans la même ville. En effet, informés de la situation de leur collègue, les hommes en robe qui s’apprêtaient à converger vers la division de la Semil à Douala où était effectivement détenu Me Fabien Kengne, apprendront que l’avocat au barreau du Cameroun avait été ramené au lieu de son enlèvement. Dans un communiqué rendu public le 31 mai 2023, le bâtonnier de l’Ordre des avocats relève que pendant son séjour dans les locaux de la Semil, Me Fabien Kengne a subi un interrogatoire musclé sans possibilité de se faire assister, «après avoir été contraint de se déshabiller et de se déchausser, son téléphone et sa montre lui ayant été retirés». Choqué et outré, Me Mbah Eric Mbah va vivement protester et condamner avec la dernière énergie «cet acte illégal et crapuleux, indigne d’un Etat de droit, perpétré contre un citoyen». Mais que reprochaient exactement les agents de la Semil à cet avocat, par ailleurs militant du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (Mrc), un parti de l’opposition ? Selon des révélations faites à l’Ong camerounaise Un monde avenir qui est allée à la rencontre de la victime, Me Fabien Kengne aurait été happé manu-militari par une erreur d’appréciation, car «accusé d’avoir fait un post sur les réseaux sociaux où il aurait ridiculisé l’image du président de la république». Un crime de lèse-majesté auquel l’homme de droit dira ne pas se reconnaître, avant d’être relâché. «Que d’après l’officier de la Semil, il a été confondu à l’activiste Essama Blaise, qui serait à l’origine de la publication de l’image en question», relate Un monde avenir. D’un ton ferme, l’organisation coordonnée par Philippe Nanga profitera de l’occasion pour exprimer son indignation contre les menaces qui pèsent selon elle sur les leaders d’opinion au Cameroun. Elle invite à cet effet le gouvernement à «se ressaisir assez rapidement en garantissant le libre exercice de tous les droits consacrés par la Constitution», question de mettre un frein à ces machines.