AU CAMEROUN, SILENCE DU GOUVERNEMENT APRÈS UNE INCITATION AU COUP D’ETAT

Patrick Rifoé, communicant du parti au pouvoir, avait déclaré sur Equinoxe télévision il y a deux semaines, qu’il s’attendait à voir l’armée renverser les institutions en cas de victoire à la prochaine présidentielle du Mrc, la formation politique de l’opposition dirigée par Maurice Kamto.

 

 

Par Njiki Fandono

Docteur en Communication, Patrick Rifoé est réputé prolixe sur les plateaux de télévision lorsqu’il s’agit de défendre le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), le parti au pouvoir. Une tâche que le communicant et enseignant d’université semble prendre très au sérieux et n’hésite pas à donner des coups, parfois sans précaution. Le plus important, parait-il, c’est de piquer profondément l’adversaire et, pourquoi pas, s’attirer les bonnes attentions du pouvoir, dans un pays où la diabolisation et la criminalisation politique de toute opposition farouche peut servir d’ascenseur vers la «mangeoire» nationale. Pour y parvenir, l’inspiration lisse et pudique ne suffit pas. Il faut oser dans le cynisme et la manipulation pernicieuse, défiant toute concurrence. Quitte à inciter publiquement l’armée à faire un coup d’Etat. Sur ce plan, Patrick Rifoé a brillé le 3 septembre 2023 sur le plateau d’Equinoxe Télévision, lors de l’émission dominicale Droit de réponse, présentée par le journaliste Duval Fangwa, dans un contexte sensible en Afrique, où l’on assiste au retour en puissance des coups d’Etat.

A la question de savoir s’il peut avoir une situation où au lendemain d’une élection présidentielle, par exemple 2025, ou même 2032, l’armée camerounaise décide de prendre le pouvoir, Patrick Rifoé répond : «bien sûr que cette hypothèse peut arriver et ça peut arriver dans le cas de figure où le Mrc remporte les élections». Laissant pantois ses co-panélistes, le communicant poursuit sereinement. «Effectivement dans cette hypothèse-là, je vois très bien l’armée en train de prendre le pouvoir […] Donc s’il arrivait par impossible que le Mrc remporte les élections, je m’attends à ce que l’armée s’y oppose fermement. Pourquoi je dis ça ? Nous connaissons tous le fameux spectacle milice tribale et ses avatars, milice Bulu, milice Béti ainsi de suite. Qui imagine les soldats camerounais, conspués, y compris par le président du Mrc, accepter d’avoir ce monsieur pour commandant en chef ? Au Mrc on insulte l’armée camerounaise tous les jours. On la traite de tous les mots. Je ne vois pas dans quelle condition il peut y avoir une collaboration entre un parti politique qui a choisi d’avoir un discours anti républicain contre l’armée et cette armée-là qui est républicaine», déclare le militant du Rdpc.

Une plainte au tribunal militaire

Plus de deux semaines après ces déclarations incendiaires, le gouvernement n’a pas réagi. Un silence qui sonne comme une souscription implicite aux propos de Patrick Rifoé, soutenus quelques jours plus tard par son camarade de parti, André Luther Meka. Une plainte a été déposée contre les deux communicants politiques auprès du commissaire du gouvernement près le tribunal militaire de Douala, la capitale économique, par Kameni Joe de Vinci, un homme de culture, pour «incitation et apologie du coup d’Etat ; préméditation d’atteinte à la paix sociale». Pour le plaignant, «ces actes qui sont d’une gravité extrême et d’une irresponsabilité sans précédent dans l’histoire de notre pays, sont sévèrement réprimés par la loi camerounaise en matière pénale et antiterroriste. Ils ne sauraient donc rester impunis. Car il ne s’agit ni plus ni moins, que d’une préméditation et d’une déstabilisation future et à moyen terme du Cameroun».

Dans les rangs du Mrc, la question a choqué jusqu’au sommet de cette formation politique régulièrement accusée par le pouvoir de Yaoundé de vouloir déstabiliser les institutions du pays, depuis la présidentielle de 2018. Au cours d’une «communication spéciale», Maurice Kamto, le président national du Mrc, a considéré que «cet appel du Rdpc au coup d’Etat, qui n’est rien d’autre qu’un appel public à l’atteinte aux institutions de la République et à la sécurité de l’État, est la preuve que désormais le peuple fait peur à ceux qui leur ont longtemps fait peur. Il s’agit d’un appel au piétinement de la Constitution, des lois de la République et du choix souverain du peuple camerounais». Le juriste international enfonce le clou, estimant que «cet appel criminel venant du régime lui-même est la preuve que dans les rangs de ceux qui ont passé des décennies à martyriser les Camerounais et à se moquer de leurs souffrances, l’arrogance habituelle cède la place à la panique». C’est dire au demeurant si 2025 sera un long fleuve tranquille au Cameroun.

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