Oraison funeste, incantations funèbres

Par Njiki Fandono,
Directeur de la publication

Une voix immense de la sapience, venue au monde le 3 novembre 1946 à Ekabita dans la région du Centre Cameroun s’est éteinte, comme par hasard, au petit matin du 16 novembre 2023 à l’hôpital général de Yaoundé, à 77 ans. Evidemment, la mort du Pr. Hubert Mono Ndjana ne pouvait pas se passer de tout commentaire, ni bruit, à la hauteur de la science de cet éminent philosophe aux théories parfois complexes, simples, et troublantes. Comme ce déchirant concept sur «l’ethno-facisme», dégainé en 1987 sous un air scientifiquement rogue et bourru, trahissant les envies légitimes du flamboyant intellectuel et militant du Rdpc de taper dans l’œil d’un pouvoir en quête de maturation.

Si le professeur avait opportunément bien senti la nécessité pour Paul Biya arrivé au pouvoir en 1982 de monter une charpente en acier pour prévenir la tempête des libertés qui souffla sur le Cameroun au début des années 1990, il faut cependant regretter ce saut risqué dans les nuages de la stigmatisation tribale. Car en désignant savamment et essentiellement les Bamilékés – peuples originaires de l’Ouest – comme un obstacle à la conservation du pouvoir de Paul Biya, le Pr. Hubert Mono Ndjana reprenait les thèses coloniales aux conséquences désastreuses du colonel français Jean Lamberton. Il essayera en vain d’arrondir les angles plus tard, mais la pilule était si grosse que le régime du Renouveau évitera d’intégrer l’un de ses plus fertiles idéologues dans les hautes fonctions de l’Etat.

Le Pr. Hubert Mono Ndjana ne franchira pas le seuil de l’Enseignement supérieur avant sa mort, suscitant une pluie d’hommages contrastés, mêlant dithyrambes, amertumes, voire de la rancœur post-mortem pour l’ensemble de son œuvre. Dans sa lettre de condoléances adressée aux proches du défunt, le président Paul Biya regrette la disparition d’un «universitaire chevronné et brillant philosophe». Pour le Chef de l’Etat camerounais, «le Pr. Hubert Mono Ndjana aura consacré la majeure partie de sa vie à former plusieurs générations d’étudiants. Ses collègues camerounais et étrangers avaient de l’estime pour lui. Il laisse de nombreuses publications scientifiques, fruits de ses travaux et de ses conférences». Des condoléances lisses et catholiques, qui tranchent avec l’hommage explosif sur fond de réquisitoire à titre posthume servi au philosophe le 16 novembre par le Pr. Maurice Kamto, sur son compte X (anciennement twitter).

«Je viens d’apprendre la triste nouvelle du décès du Pr. Hubert Mono Ndjana. Ce fut une intelligence vive traversée de fulgurances», reconnaît d’entrée le président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (Mrc). L’opposant au régime de Yaoundé enchaîne avec un souvenir amère qui remet sur la tombe de l’illustre disparu, un contentieux intellectuel et personnel que l’on croyait vidé entre les deux hommes. «Face à face nous avons forcé le débat d’idées dans notre pays au milieu des années 1980, à la parution de son livre «L’idée sociale chez Paul Biya», à une période où la chape du parti unique n’offrait aucune aération à notre société. Son tropisme ethno-idéologique l’a empêché de donner le meilleur de ce que lui autorisaient ses talents philosophiques. Je regrette qu’une telle vivacité intellectuelle fût mise au service d’une si mauvaise cause. En même temps je respecte son inlassable effort de penser. Que son âme repose en paix !».

Boum ! L’oraison au vitriol, ou plutôt funeste, crée une levée de bouclier dans les débats publics. Non pas parce que l’avocat international aurait subitement perdu sa liberté de penser et de dire, mais parce que Maurice Kamto avait déjà eu l’occasion de s’exprimer sur ce sujet, du vivant de Hubert Mono Ndjana, dont l’héritage philosophique et intellectuel à tout prendre, n’est pas que clivant. Frileux des galettes macabres, un groupuscule de chefs traditionnels à la légitimité contestée dans la Lékié, département d’origine du philosophe, saute sur l’occasion quelques jours après. Ils vont délivrer en plein jour, un spectacle riche en sortilèges et très insultant contre la mémoire de Hubert Mono Ndjana, un passionné de la dialectique. Parés d’amulettes et de leurs attributs traditionnels, les chefs de la Lékié profèrent toute sorte de malédictions sur un portrait de Maurice Kamto, accroché au cercueil rouge de fortune qu’ils avaient apprêté pour le rituel. Dans leurs incantations funèbres, ces dépositaires de la tradition d’un genre bizarre ont convoqué la «mort» du leader du Mrc pour avant 2025, au mépris du code pénal camerounais qui réprime les pratiques de sorcellerie, l’appel à la haine et l’incitation au meurtre.   

 

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