Au Cameroun, la prorogation perpétuelle du mandat des élus, entre légalité et désinvolture républicaine

Prévue par la Constitution et le Code électoral, la prorogation du mandat des députés et des conseillers municipaux cristallise les débats au Cameroun. Et pour cause, le président Paul Biya semble avoir fait de ces dispositions exceptionnelles une norme. Une situation que redoute le principal opposant Maurice Kamto, qui pourrait ne pas être investi par son parti à la présidentielle de 2025, sans aucun élu dans les institutions.

Par Njiki Fandono

Ce pourrait être le huitième mandat de Paul Biya, si le président camerounais accepte les incessants appels à candidature de ses partisans pour la présidentielle de 2025. Tout comme le natif de Mvomeka’a dans le Sud du pays pourrait aussi «rentrer au village» à la fin de son mandat, épuisé qu’il est par le poids de l’âge (91 ans) et la routine de six décennies passées dans la haute administration dont plus de quarante ans au pouvoir. Mais quelle que soit l’hypothèse, son principal opposant, Maurice Kamto, entend jouer son rôle dans la bataille de succession, malgré l’épée de Damoclès qui plane sur son investiture par le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC).

Pour bien comprendre, il faut noter qu’au sortir de la présidentielle de 2018 dont les résultats avaient été contestés, l’avocat international avait engagé un bras de fer avec le régime de Yaoundé, l’accusant de fraudes électorales. Après un passage à la case prison avec ses alliés politiques, Maurice Kamto s’en était sorti avec une forte côte de popularité, mais avait décidé de boycotter les élections législatives et municipales de février 2020, à la surprise générale. Entre les manœuvres de l’administration visant à empêcher la constitution des dossiers de candidature de ses militants ; la crise sécuritaire qui secoue les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest depuis fin 2016 et la révision du système électoral toujours réclamée par l’ensemble de l’opposition mais jamais obtenue…les récriminations semblaient suffisantes pour justifier la décision radicale de Maurice Kamto, emportant toutes les conséquences. Y compris le risque pour le MRC de ne pas pouvoir investir un candidat à la prochaine présidentielle, faute d’élu dans les institutions, au regard de la réglementation en vigueur qui fait du chef de l’Exécutif le maître absolu du calendrier électoral.

En effet, l’article 170(2) de la loi portant Code électoral de 2012 et la Constitution du 18 janvier 1996 révisée en 2008 en son article 15 alinéa 4 (Nouveau), donnent au président de la République la possibilité de proroger ou d’abréger le mandat des Conseils municipaux et celui de l’Assemblée nationale «en cas de crise grave, ou lorsque les circonstances l’exigent». Des moyens légaux qui compliquent la situation du MRC. Parce qu’en l’état, le parti ne peut pas présenter un candidat à la présidentielle de 2025, et il est plus probable que Paul Biya procède à la prorogation du mandat des conseillers municipaux et des députés, comme c’est de tradition depuis 2012 au moins. D’où la pression légitime du MRC pour contrecarrer cette vieille habitude du chef de l’Etat, et permettre au parti de retrouver son droit d’investir un candidat à l’élection présidentielle.

Une habitude controversée

S’il ressort cependant que les moyens de la prorogation sont effectifs et indéniables, il faut souligner que les motifs souvent avancés par le président de la République sont questionnables, en ce sens que ceux-ci ne sauraient aisément s’inscrire dans la durée comme étant une crise grave, ou une circonstance exceptionnelle, en raison de leur caractère prévisible. Tenez par exemple. Pour proroger le mandat des conseillers municipaux et des députés en juillet 2018, l’Exécutif avait estimé que «la tenue des élections présidentielles, législatives et municipales, au regard de la date de convocation du corps électoral, entraînera un chevauchement des différentes opérations relatives à ces scrutins». Des arguments qui ont du mal à convaincre en dehors des cercles du pouvoir, tant le Cameroun n’en serait pas à son premier coup d’essai. Le pays ayant déjà organisé les élections législatives (1er mars) et la présidentielle (11 octobre) en 1992, sans encombre ni «chevauchement» du calendrier électoral. Il faudrait donc bien plus pour justifier au fil des mandatures une prorogation perpétuelle qui, au-delà de la grogne du MRC, tendrait à dévoyer l’esprit de la loi, et à consacrer une habitude porteuse de désinvolture démocratique et républicaine.

 

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